equitazione sentimentale
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Equitazione Sentimentale « Ogni cavallo dee hauere lo suo cavaliere » :
à tout cheval son
cavalier
par Giancarlo Mazzoleni*
La redécouverte de Platon et des atomistes présocratiques fut à l’origine d’un mouvement naturaliste qui s’affirma dans toutes les cours italiennes de la Renaissance et conduisit plusieurs intellectuels au refus de l’anthropocentrisme et à une attention affirmée portée à la nature et au monde animal. C’est alors que commencèrent à circuler deux écrits de Xénophon sur l’équitation : Perì ippixñs et Ipparxikòs. Ces deux textes provoquèrent dans les cénacles de l’époque d’intéressants débats sur le thème de l’équitation qui aboutirent à une nouvelle vision du rapport entre l’homme et le cheval : Le cavalier ne doit être
ni trop dur ni trop
respectueux. Et le juste milieu a toujours été
loué. Le proverbe dit que les
chiens et les chevaux sont conformes à leur dressage. Et les
chevaux d’Italie
doivent être domptés plus avec douceur qu’avec
âpreté, même si le cheval doit
être soumis à l’homme et non le contraire parce que
c’est
pour cela qu’il a été
créé [Ferdinand d’Aragon à César
Borgia] Parmi les protagonistes les plus importants de l’époque se distinguent le roi de Naples, Ferdinand d’Aragon, et les humanistes Giovanni Corte de Pavie et Baldassarre Castiglione qui avaient comme principal objet d’étude le cheval et son utilisation. La discussion se porta sur les différentes races et leur emploi : guerre, parade, manège et course, et en particulier leur dressage qui, d’après eux, devait prendre en considération non seulement la structure morphologique, mais aussi le caractère de l’animal. Ferdinand d’Aragon soutenait l’impossibilité d’un entraînement égal pour tous, affirmant que chaque cheval ne pouvait s’accorder qu’à un seul cavalier qui devait avoir des caractéristiques physiques et psychologiques différentes selon l’animal. Dans ses lettres, il souligne souvent que « ogni cavallo dee hauere il suo cavaliere » (chaque cheval doit avoir son cavalier). Ferdinand d’Aragon était très généreux, aussi envoyait-il souvent en cadeau à ses pairs chevaux et écuyers, tant et si bien que l’équitation peut être considérée comme une partie importante des relations diplomatiques de l’époque. Ainsi, en envoyant un poulain au roi de Hongrie, il l’accompagne de cette lettre : L’écuyer doit
reconnaître avec discernement
les qualités et la bouche du cheval, parce que, s’il
s’agit
d’une bouche douce,
il doit la respecter en utilisant non seulement une embouchure
appropriée, mais
aussi une main qui, de même, ne doit pas être trop dure
(…)
J’avise de ne
jamais changer la bride que [le cheval] accepte, parce que bien des
fois
lorsqu’on fait des changements il ne le comprend pas (…)
quand vous
commencerez
à mener le poulain par la bride seule, sans le caveçon,
s’il a trop de ma avec
la bridel, qu’on lui mette un simple
canon (…) qui ne lui fasse pas mal à la bouche et quand
il sera
devenu un
cheval fait, qu’on lui change la bride pour un bon mors
adapté
à la nature de
sa bouche Et dans une lettre au duc de Ferrare, il écrit : Et s’il vous fait quelque
désobéissance
quand sera trop fatigué, il en
tiendra a
vous de l’envoyer se reposer ; et s’il
s’avère que le
cheval est ombrageux et qu’il
faille
plus de conviction pour le plier et
le vaincre, vous devrez savoir juger
d’où en vient la raison, s’il est fatigué ou
il s’agit de
malice, ou si son
hostilité est provoquée par son embouchure, ou
plutôt par l’impatience ou
l’ignorance de celui qui le soigne ou le monte Ses correspondants lui demandaient souvent des conseils, comme dans le cas du marquis de Mantoue, auquel il répond : Pour répondre ici
à ce que vous m’avez
demandé, c'est-à-dire, s’il est nécessaire
qu’un
cheval bien dressé doive obéir
aussi bien à la jambe qu’à la main comme si, sans
l’action répétée de la main
ou de la jambe, on ne pouvait diriger toutes les opérations
décidées par le
cavalier ; alors que vous avez par ailleurs vu évoluer des
chevaux sans
aucune aide avec les jambes fermes du cavalier qui paraissaient
immobiles, et
encore d’autres qui ont très bien guidé leur cheval
sans
l’aide de leurs
jambes. Aussi en fonction de mon savoir et dans la logique de notre
raisonnement, je vous répondrais qu’étant
donné la
fonction de la main qui est
de guider les épaules, celle des jambes de guider les hanches,
la distance qui
existe des épaules aux hanches et enfin le fait que celles-ci
soient des
parties opposées, on arrivera avec l’art du dressage
à
faire en sorte que le
cheval opère avec une parfaite synchronisation des membres
antérieurs et postérieurs. Mais
il est vrai aussi que, une fois que le cheval est dressé et
qu’il
comprend toutes les aides, il faut monter sans leur aide, mais
cela est
école pour Princes L’argument du « bien monter » fait, à juste titre, partie de la recherche du Beau qui imprégna la culture de la Renaissance, comme l’exprime dans le premier livre de son célèbre Courtisan Baldassarre Castiglione, grand connaisseur de chevaux et d’art équestre, d’abord ambassadeur du marquis de Mantoue et du duc d’Urbino, puis nonce apostolique auprès de Charles Quint : Je
veux que notre courtisan soit un parfait cavalier dans toutes les
manières de
monter, et outre la connaissance des chevaux et de ce qu’il faut
aux
cavaliers,
qu’il mette du soin et de la diligence à dépasser
un peu
les autres en toutes
choses de façon qu’il soit toujours reconnu parmi tous
comme le
meilleur (…)
puisque la gloire particulière des Italiens est de bien monter
avec la bride,
de manier habilement les chevaux, principalement ceux qui sont
difficiles, de
combattre avec la lance et de jouter (…) mais surtout
qu’il accompagne
tous ses
mouvements d’un certain bon jugement et de grâce,
s’il veut
mériter cette
faveur universelle qui est si appréciée Les observations et les réflexions contenues dans tous ces textes préludent à ce qui se produira au cours du XVIe siècle lorsque, grâce à de célèbres écuyers comme Federico Grisone, Cesare Fiaschi et Giovan Battista Pignatelli, l’Italie fut reconnue dans toute Europe comme le berceau de l’art équestre. Il faut noter que les œuvres de ces grands maîtres s’inscrivent dans le droit fil de la discussion précédente et qu’ils semblent même dépassés par la modernité des lettres citées ci-dessus. En tout cas, l’intérêt des courtisans pour le cheval n’est pas limité à son entraînement pour la guerre ou les joutes, carrousels et tournois. Il embrasse d’autres aspects, notamment la sélection de la race, même dans des buts de divertissement. A
cette époque, en
effet, la coutume du palio s’était répandue
dans
presque toutes les
villes italiennes. A l’occasion de ces manifestations, les
chevaux,
montés sans
selle, couraient dans les rues du centre de la ville : “La
raison
pour
laquelle ils courent, je crois [écrit un autre humaniste,
Claudio Corte]
s’explique non pas tant par l’intention de faire plaisir au
peuple avec
un beau
spectacle, que d’évaluer le plus rapide des chevaux et le
plus
résistant Baldassarre
Castiglione, précédemment cité, fut lui-même
éleveur de chevaux, comme nous
pouvons le déduire de sa correspondance familiale. Ainsi il
écrit à sa mère le
29 mai 1508 : “Je vous prie de me dire comment se portent mes
chevaux,
étant
donné que désormais ils devraient être tous
montés à l’exception de celui qui
est né au temps de mon voyage en Angleterre, je vous prie aussi
de faire en sorte
qu’ils soient bien montés Dans
l’accomplissement de ses fonctions d’ambassadeur de
François II
Gonzague, père
de Frédéric, Baldassarre Castiglione fut le complice
inconscient de la création
de la race du pur-sang anglais. En 1506 il fut chargé par
Guidobaldo de
Montefeltre, duc d’Urbino, d’aller en Angleterre pour
recevoir de Henry
VII
l’ordre de la Jarretière en son nom. Guidobaldo, outre
qu’il
était grand mécène
et homme de culture, “ne laissait pas passer un jour sans monter
(…) et
tout le
monde convenait qu’il surpassait en ce domaine tous les princes
du
temps en agilité et en savoir faire En
préparant le
long voyage qui devait le conduire outre-Manche, Castiglione donna
à François
II le conseil de lui confier deux cadeaux pour le roi
d’Angleterre afin
d’améliorer les relations diplomatiques et de gagner les
bonnes
grâces de Henry
VII : un tableau de Raphaël et un cheval de son
élevage. Le cheval choisi
fut un étalon bai. Mais le 24 août, alors qu’il
faisait
étape à Milan
Castiglione écrit un message alarmiste parce que
l’étalon
destiné au roi
d’Angleterre était tombé malade :
« étant de votre élevage, il me
semble que, si je le portais dans le mauvais état dans lequel il
se trouve, je
ne ferai pas honneur à Votre Excellence» Quant au bai, il ne faut plus y
songer ; à
présent qu’il va un peu mieux, et que je
reprends mon voyage, je pense
le renvoyer à Votre Excellence.
Mais il
me semble que j’obligerai Votre Excellence si
j’emmène avec moi
la jument
alezane qui est très belle et appartient aussi à votre
élevage, car je crois
avec elle pouvoir vous faire honneur auprès du le roi
d’Angleterre Baldassare Castiglione arriva en Angleterre le 1er novembre. Peu après, il écrivit à sa mère : Grâce à Dieu,
j’arrivai sain et sauf à
Londres, capitale de l’Angleterre, très honorablement
accompagné. Et au bout de
deux jours, ayant été appelé, je me rendis devant
S. M. qui m’accueillit avec
beaucoup d’honneur et de caresses, et chaque jour il en rajoute
encore.
Il fut
très satisfait des cadeaux que je lui avais portés, en
particulier de la jument Ainsi la jument grise élevée par François II Gonzague fut le cadeau le plus apprécié de Henry VII qui, après la Guerre des deux Roses, avait eu d’énormes pertes en chevaux dans toute l’Angleterre. On sait que, les années suivantes, il importa d’Italie un grand nombre de chevaux de valeur pour relever ses élevages. A
Rome, le 23
février 1521, Castiglione écrivit au Federico II marquis
de Mantoue Le dimanche, on courut pour les palii,
où les chevaux de Votre Excellence furent extrêmement
malchanceux. Je commandai
à Zuccone, qui était l’entraîneur des barbes,
de
mettre les deux chevaux au
premier palio, de manière que, s’il arrivait un malheur
à
l’un, l’autre le
supplée. Et il en fit ainsi. Au départ le gris de Votre
Excellence était devant
tous, jusqu’à la moitié du Campo dei Fiori, et le
l’alezan était deuxième. Mais
comme Zuccone avait commandé au garçon, pour ne pas
tomber, d’être prudent
jusqu’à la dernière ligne
droite du bourg, le garçon laissa passer le cheval du cardinal
Petrucci (…)
Quand il fut au virage de la Chiavega, le garçon tomba par pure
malchance, sans
que personne ne le touche (… ) Quand les chevaux
arrivèrent au
pont, l’alezan
était troisième, et sans doute il aurait
dépassé tous les autres, mais dans le
tumulte, il se trouva un cavalier masqué à cheval au
milieu de la route sur
lequel l’alezan donna du poitrail, qui le fit
trébucher et tomber, et le garçon tomba lourdement
à terre, de sorte
qu’il n’est pas encore remis (…) A la course des
juments, celle de
Votre
Excellence se mit d’abord en tête devant celle de
l’archevêque de Nicosie, et
elles continuèrent ainsi. Quand elles arrivèrent au du
Borgo, votre jument lui
avait pris un tel avantage que, lorsqu’elle fut sur le point de
toucher
le
palio, la jument de Nicosie n’était pas encore à la
fontaine ; mais
lorsque le page fut sur le point de toucher le palio, un
arbalétrier
s’interposa entre le palio et la jument, de sorte que le page ne
put le
toucher, et à cet instant arriva la jument de Nicosie qui le
toucha et reçut le
palio. J’étais dans le Castello, et je ne pus
comprendre
ce qui s’était passé,
jusqu’au retour du messager que j’avais envoyé. Les palii
[drapeaux
peints, prix de la victoire] furent portés devant Notre Seigneur
et là
arrivèrent le gouverneur et le sénateur auprès
desquels je protestai durement
en présence du pape, et il n’y avait personne qui ne
reconnaisse
qu’il ne se
fut agi de tromperie. J’étais décidé
à
réclamer le palio de toutes façons, mais
le gouverneur dit au pape que la raison voulait que le palio soit
donné à celui
qui l’avait touché, mais que celui qui avait
provoqué la
tromperie devait en
payer un de la même sorte. Après beaucoup de palabre,
l’arbalétrier fut mis en
prison, et y est encore, et le sénateur et le gouverneur
m’ont
promis qu’il
n’en sortirait pas avant de m’avoir fait un palio de la
même
sorte que celui
dont il m’avait privé. J’aurais
préféré
qu’il soit pendu, ou du moins qu’il
reçoive quatre ou cinq coups de corde, puis qu’il soit
immédiatement embarqué
dans une galère Quelques siècles plus tard, en 1940 exactement, nous retrouvons la jument que Castiglione avait donnée au roi d’Angleterre. Ce fut Federico Tesio, sans doute le plus grand éleveur de pur-sangs en Italie, parfois considéré comme le plus grand en Europe pour avoir élevé Nearco et Ribot, qui l’a remis en mémoire dans une conférence à Turin. Au XVIIe siècle, un certain Mr. Pick chercha à établir les généalogies des chevaux adaptés à la course, tous ou presque tous d’origine orientale, et il arriva dans certains cas à remonter aux premières années du XVIe siècle. Mais ce fut M. Weatherby qui, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, rédigea le Livre des Généalogies, premier Stud Book du pur-sang anglais et reconstruisit les différentes familles jusqu’à la contribution donnée par la jument de Gonzague et celles de la duchesse Catherine de Savoie. Si les dynasties issues de ces dernières ont peu à peu disparu, celle originaire de l’élevage du duc de Mantoue était bien vivante au temps de Federico Tesio et son descendant Jenny Hampton, importé par lui, a produit Pharis II, vainqueur du Grand Prix de Paris, Blue Peter et Grafito, vainqueurs du Derby anglais. La dynastie portant le numéro 20 est encore aujourd’hui bien vivante et à même de produire des chevaux capables de remporter les plus importantes courses classiques dans le monde entier. Le Stud Book en reconstruit entièrement la descendance, en ligne féminine, depuis 1715. Tout cela pourrait nous donner à penser que le lien avec notre poulinière du XVIe siècle n’est qu’une hypothèse. Mais ce n’est pas le cas, comme le démontre une récente recherche scientifique publiée en août 2002 dans Animal Genetics. Emmeline Hill et ses collaborateurs du Smurfit Institute of Genetics du Trinity College de Dublin, ont publié un essai intitulé History and Integrity of Thoroughbred Dam Lines Revealed in Equine mtDNA Variation, contribution fondamentale à l’histoire du pur-sang, dans laquelle ils font remonter l’origine de la famille 20 à la poulinière exportée en Angleterre par Baldassarre Castiglione. Les documents et les événements mentionnés ci-dessus nous amènent à deux conclusions. La première est que le débat aujourd’hui renouvelé par les « nuovi maestri » (nouveaux maîtres) sur la façon douce de dresser les chevaux est argument ancien et trouve ses racines dans les lettres de Ferdinand d’Aragon. La seconde est qu’aujourd’hui encore, sur les hippodromes, les vainqueurs sont les descendants de ces chevaux qui faisaient l’orgueil de l’Italie de la Renaissance. Tout cela nous permet de suggérer que, dans le monde du cheval, le temps reste une chose relative. *
Remerciements à l’éditeur Riccardo Bassani, qui a
contribué à l’apport des
documents cités dans cet article, et à Madame Grazia
Odorizzi pour la
traduction. Sources et Bibliographie Sources manuscrites Biblioteca Apostolica Vaticana, cod. Barberiniano Latino 4927 (Lettres
de Ferdinand
d’Aragon, roi de Naples à divers princes
chrétiens) ; cod. Barberiniano
Latino 5764, Cod.
Urbinate Latino 1766, Cod. Vaticano Latino 8207, 8208, 8209, 8210,
9063, 9065
(lettres de B. Castiglione). Archivio di Stato di Firenze, Strozziano, I,
FI, 351
(lettres de B. Castiglione) . Archivio di Stato di Mantova, Castigl. II, Bs. 6
(lettres de B. Castiglione). Bibliographie Baldassarre Castiglione,
Il libro del cortegiano, Rizzoli,
Milano. Jacob Burkhardt,
La civiltà del Rinascimento in Italia,
Sensoni, Firenze, 1968. Pasquale Caracciolo,
La gloria del cavallo, Giolito,
Venezia, 1567. Eric Cochrane, L’Italia
del Cinquecento, Laterza, Bari, 1989. Giancarlo Malacarne,
Il mito dei cavalli gonzagheschi,
Promoprint, Verona, 1995. Giovan Battista Ferraro,
Delle razze, disciplina del cavalcare et
altre cose pertinenti ad esertitio così fatto, Matteo
Cancer, Napoli, 1560. Claudio Corte,
Il cavallerizzo, Ziletti, Venezia,
1573. Senofonte (Xenophon), L’ipparco, ed. it.
Edizioni Equestri, Milano, 1990.
Senofonte (Xenophon), Sull’equitazione,
ed. it.
Edizioni Equestri, Milano, 1990. |
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